Pneus qui crissent sur l’asphalt rendu humide par la rosée. Ballet lointain de véhicules qui accélèrent pour rejoindre l’autoroute. Nuit noire sans lune à peine illuminée par les gyrophares bleus-rouges scintillants de dizaines de voitures de police et par des lampes-torchées portées par des officiers. Je tremble, et pas que de froid, même si je suis mouillé jusqu’aux os sous mon manteau. Ma voiture gardée sur la bande d’arrêt d’urgence de l’autoroute, je n’ai plus qu’à hasardeusement descendre à pic après avoir basculé au-dessus de la glissière. Il fait noir, le sol est rendu meuble et boueux par la pluie, et j’ai de la chance d’être adroit et habitué des terrains accidents, car à un moment je manque de glisser en arrière et de tomber. Comme ça, en toute illégalité, je descend jusqu’à deux grosses voitures sérigraphiées « Illinois State Police » et estampillées par un petit écusson avec un aigle. Les flics adorent se foutre des aigles à la con sur leurs insignes, nous en Louisiane on avait une cigogne, c’était plus original.
Parce que je n’ai pas envie de me faire tirer dessus par des flics (Je sais que je ne suis pas noir, mais je fais gaffe quand même) je fais gaffe d’être bien en visuel. Je m’approche dans la lumière alors que j’atteins la route des deux bagnoles de flic et fait un signe de main à l’un des policiers qui reste en vigie pour bloquer la route. En me voyant il marche d’un pas très rapide, presque comme une oie, jusqu’à ma hauteur. Il me harangue en criant un peu tout en continuant de s’approcher :
« Il y a un cordon de sécurité monsieur ! Retournez à votre véhicule s’il vous plaît !
– Je sais qu’il y a un cordon de sécurité. Je souhaite parler au lieutenant Westmoreland de la police de Chicago, il est arrivé sur les lieux il me semble ? »
L’officier de police se tait alors qu’il arrive jusqu’à moi. C’est un jeune homme, rasé de près, qui porte un chapeau quatre-bosses et un imperméable dégoulinant de pluie qui protège son bel uniforme avec cravate. Puisqu’il s’approche dans la lumière des phares d’une des voitures de sa police d’État, je suis capable de mieux l’identifier, surtout ses yeux. Il a le visage tout pâle et les sourcils écarquillés. La bouche entrouverte, je crois qu’il remarque qu’autour du cou j’ai un col romain.
« Heu… Je… V-Vous… Qui êtes vous, mon père ? Trouve-t-il finalement à dire après un peu d’hésitation.
– Mon frère, pas mon père ; Je ne suis pas prêtre, juste diacre.
– Ah ! Pardonnez-moi, Il répond aussitôt sur un petit ton gentil, ne sachant probablement pas la différence, voire-même n’en ayant rien à faire.
– Je suis sincèrement désolé de vous déranger, mais je me répète, vous pouvez vérifier que le lieutenant Westmoreland est sur les lieux ? C’est lui qui m’a appelé ici, c’est très important que je sois là.
– Ok-ok… Heu… Qui êtes vous ? Enfin, je dois annoncer qui ? »
Je sors ma carte d’identité et me présente oralement. L’officier prend mes papiers pour vérifier quelques instants, puis me les rend et me demande de l’excuser un instant. Il s’éloigne et me laisse-là, tout seul, sous la pluie. Enfin, « tout seul », c’est vite dit. Parce qu’une autre voiture de police estampillée « K9 » s’enfonce aussitôt dans la brousse et des officiers en uniforme en sortent avec des chiens pour se répandre dans le secteur. Parce que des types en quatre-bosses s’amusent à mettre des cordons de sécurité jaune partout, à illuminer le sous-bois avec des lampes-torches, à organiser une grande battue. Les chiens courent dans tous les sens en reniflant, je remarque quelques inspecteurs en civil au milieu des types en habits réglementaires, et surtout, à un moment, revenant vers les véhicules, des types qui portent des grosses blouses blanches de laboratoire qui les recouvrent des pieds à la tête, avec dans leurs mains des coffrets qui doivent être pleins de pièces à convictions et de relevés d’ADN.
Bref. Le genre de vision normale sur une scène de crime.
Cinq minutes plus tard, le jeune officier est de retour. Il me fait signe de le suivre, et je m’enfonce d’un pas lent dans le sous-bois, en faisant attention de ne pas trébucher sur des racines au sol. J’en profite pour discuter un peu avec le jeune flic :
« Quel est votre nom, officier ?
– Hm ? Oh, heu… O’Malley, mon père. Mon frère, je veux dire.
– Dites-moi, O’Malley. Qu’avez-vous dit au lieutenant Westmoreland ?
– Je lui ai dis qu’un civil demandait à le voir. Il m’a demandé : « est-ce que c’est un prêtre ? », je lui ai dis que vous aviez un col blanc de prêtre là, il a ricané et il a dit « faites qu’il se ramène vite j’ai pas toute la nuit ».
– Oui pas de toute, c’est bien le lieutenant Westmoreland…
Pourquoi est-il énervé ? Cela fait un moment que la police de Chicago est sur les lieux ? La police a été alertée y a longtemps ?
– Une famille qui faisait du vélo dans la forêt qui a trouvé le corps dans les alentours de dix-neuf heures. La police de Wilmington est arrivée sur les lieux, mais vous savez c’est des flics locaux, ils sont habitués à arrêter des chauffards et aider des randonneurs perdus, pas trop les moyens pour les cadavres… Du coup nous la police d’État on est arrivés vers vingt-et-une heure. On a fait remonter l’information, ce qu’on a trouvé, et là d’un coup la police de Chicago qui nous appelle : « Touchez à rien on arrive ». Et voilà qu’ils ont débarqué avec leurs voitures en civil et leur propre section de recherche.
– Vous avez pu voir le corps ? C’est un meurtre ?
– Non moi non… Mais on nous a dit que c’était un meurtre oui. Enfin moi on m’a surtout dit de bloquer la route, mais on avait pas prévu que des gens s’arrêtent sur l’autoroute là-haut pour descendre à pied. Si le lieutenant de police vous attendait, pourquoi pas être arrivé sur le chemin, comme tout le monde ?
– Je voulais voir le terrain. »
O’Malley a pas le temps de réagir à mon excuse totalement débile. Parce que maintenant qu’on entre dans le sous-bois, qui est illuminé par des grands projecteurs installés, je reconnais le lieutenant que je suis venu voir. Je le vois de dos à discuter, entouré d’une dizaine d’hommes et de femmes en uniforme, en civil, avec des blouses de laboratoire et l’écusson de tel ou telle unité de police, mais pourtant je le reconnais direct ; Il a un vieux manteau en cuir brun écaillé, des jeans slims qui lui vont pas et qui font ressortir ses grosses cuisses, des cheveux noirs courts mais épais, et surtout, une paire de vieilles rangers cabossées aux pieds. Je m’approche mais pas trop non plus, je veux pas discuter la conversation qu’il mène avec les flics. Je me contente de tousser très fort pour que O’Malley s’approche et prévienne Westmoreland que je suis là. Le jeune officier s’avance, parle au lieutenant, qui se retourne pour me voir. Lui et tous les flics qui discutent en cercle se retournent pour m’observer puis discutent ensemble encore deux ou trois minutes où je suis laissé tout seul sous la pluie. Au final ils s’entre-serrent tous la main, Westmoreland met une main très condescendante sur O’Malley pour le remercier, puis s’approche de moi.
« Retour à Chicago, mon frère.
– Pas encore. J’allais aller à mon motel quand vous m’avez envoyé un message. Je suis assez étonné d’ailleurs ; Comment vous allez justifier à vos collègues que vous laissez un diacre catholique sur les lieux du crime ?
– Cela c’est pas un problème. On est dans le pays de la liberté ; On laisse des mediums aller sur des scènes de crime, un diacre c’est pas si impressionnant.
Par contre, heu… Je peux compter sur vous pour pas écrire votre nom sur la feuille de présence ?
– Naturellement. »
La feuille de présence c’est le petit papier que le responsable de la scène de crime est censé donner à tous les tas de gens qui sont en train de faire la battue et d’illuminer le bois avec leurs lampes-torches. Ils doivent écrire leur nom, quand ils sont arrivés, ce qu’ils ont fait, et repartir. C’est pour éviter des affaires où un criminel a profité d’être sur la scène de crime pour détruire des preuves. Je suppose que Westmoreland n’a pas envie d’avoir à écrire à sa hiérarchie tout un rapport pour expliquer ce que je faisais là.
« Vous n’aimez pas les médiums, lieutenant Westmoreland ? » Je demande d’ailleurs alors qu’il me fait signe de le suivre.
« Franchement depuis que je vous connais j’ai revu à la baisse mon niveau de scepticisme. Et c’est pas ce que je viens de voir ce soir qui va y changer quoi que ce soit.
– C’est lié au premier corps qui a justifié ma venue ici ?
– Similaire oui. Comme je vous l’ai décris.
Mais regardez plutôt par vous même. »
On est devant une grosse bâche en plastique blanche pour recouvrir le corps de la pluie. Des types en blouses en soulèvent un peu les pans pour prendre des photos. L’un d’eux, je ne sais même pas si c’est un homme ou une femme car il a le visage recouvert par un masque en coton, se déplace pour me laisser approcher. Je tire d’une poche de ma veste un petit mouchoir que je m’applique très fort sur le nez et la bouche. Je crois que je sais déjà ce que je vais découvrir.
Je soulève la bâche. Je tombe nez-à-nez avec un cadavre en plein début de décomposition, avec toutes les joyeusetés imaginables : Le jeune homme complètement nu que j’ai sous les yeux a une grosse tâche verte sur l’abdomen, les yeux qui sortent des orbites, et la langue gonflée qui lui sors de sa bouche ouverte. Là il n’est même plus question de rigidité cadavérique, le pauvre garçon est mort depuis un bon moment, il commence à être colonisé par les mouches et les vers. Si je n’avais pas mon mouchoir solidement accroché à mes narines et ma bouche, je suis sûr que j’aurais dégueulé aussitôt, ça m’a déjà surpris une fois, quand j’étais encore dans la police de Louisiane. Je ne suis pas médecin légiste et je n’en ai pas cette prétention, mais malgré tout je vous décris sommairement le corps : Homme, 20-25 ans, métis afro-américain, plutôt petit, athlétique mais fin. Il a des hématomes localisés à plusieurs endroits, des coupures qui ont cicatrisé depuis un moment, plusieurs entailles très profondes sur les côtes qui indiquent des coups de couteau.
Deux traces de morsure sur le cou.
Je me relève après avoir identifié ça. J’aurais bien aimé tripoter le corps dans tous les sens et obtenir des preuves, mais malheureusement la superficie de policiers à la ronde empêche cela.
« Alors ? » me demande le lieutenant Westmoreland. Je crois reconnaître une petite trace de sincère inquiétude dans son visage ridé et normalement impassible.
« Vous n’avez aucune idée de qui il est ? Aucun moyen d’identification ? Je répond par contre-questions, pour éviter d’avoir à lui dire ce que je pense.
– On a retrouvé son corps totalement nu, alors non. On a commencé à comparer avec les disparitions signalées récemment, et on a prit des relevés dentaires pour voir ce que ça va donner…
Mais. Et alors ? C’est quoi ce bordel ?
Vous… Est-ce que… Enfin je dois délirer, mais. Est-ce qu’il a été mordu au cou ? »
Il est très bête. Il me pose des questions auxquelles je n’ai pas la réponse, mais surtout, il me pose des questions auxquelles lui-même il n’a pas envie d’avoir de réponse. Ce que je sais ? Que les vampires peuvent dissimuler les morsures qu’ils pratiquent sur les humains, même si mon entraînement auprès du
Malleus fait que je suis capable de les reconnaître en observant bien, ce qui est le cas ici. Il arrive que des vampires tuent, accidentellement ou non. Généralement ils ont l’intelligence de faire disparaître les corps. Le fait que le cadavre ait reçu des entailles très profondes au ventre peut parfaitement être le signe qu’un vampire a tenté de faire croire que c’était ça la cause de la mort, et pas la petite morsure au cou qu’on peut faire passer pour une blessure d’animale, ou un jeu BDSM bizarre. Comme la cause de la mort dans les deux cas c’est la perte de sang les policiers sont généralement assez peu regardants, ils s’imaginent pas que les Vampires existent et que ce soient des créatures démoniaques qui aient commis le meurtre. C’est une bonne chose pour le Vampire en question d’ailleurs. Je crois que je peux raisonnablement dire que ses jours sont comptés, ses congénères ont plutôt tendance à vite se débarrasser de ceux qui risquent de mettre à la lumière du jour leurs immondes loges maçonniques et conspirationnistes qui contrôlent le monde. La question, c’est plutôt, combien d’autres victimes la créature va-t-elle faire avant qu’elle soit mise hors d’état de nuire ?
Mais Westmoreland n’a pas besoin de savoir tout ça. Et je ne veux pas qu’il sache tout ça. Ce crétin semi-alcoolique et violent a une petite fille, je n’ai pas envie de mêler un père de famille à une révélation qui troublerait le peu de sensibilité humaine qu’il a. Alors, je me contente de faire peser un long silence, avant de lui répondre, la voix grave :
« Vous n’étiez pas obligé de me faire venir jusqu’ici, lieutenant Westmoreland. Il n’y a rien de plus que je puisse faire là. Néanmoins, je vous suggère de m’informer de la moindre découverte dans l’enquête, c’est nécessaire. Je suis à Chicago pour au moins quelques jours, sûrement plus. J’aimerais bien avoir l’adresse de la famille du premier corps.
– Oui. Oui je… Je m’assurerai que vous ayez ceci. »
Silence gênant à nouveau. Je peux sentir d’ici la peur et le malaise du lieutenant de police, qui jette un œil apeuré au cadavre. Il en sait déjà trop. Il ignore tout ce que moi je sais, il ne se doute pas des détails, de l’étendue du règne du Mal, de leurs races, de leurs institutions ; Il parvient encore à dormir la nuit parce qu’il est à des lieues d’imaginer tout ce que ça implique. Mais il en sait déjà trop ; Cela fait de lui un ami de la Légion à Chicago, mais également quelqu’un à surveiller, pour son bien. Je suis légèrement mal à l’aise de le voir zieuter ainsi ce corps, il faut que je le calme.
«
L'homme prudent voit le mal et se cache, mais les simples avancent et sont punis. Proverbes, 22-3.
– … Je crois pas à tout ça, mon frère, vous savez.
– Alors continuez de ne pas y croire, lieutenant Westmoreland. L’ignorance peut être une bénédiction, assez étrangement. Restez le même bâtard cynique que vous êtes. Vous avez déjà fait preuve d’assez d’originalité et d’insanité mentale en composant mon numéro de téléphone. À présent, tenez vos distances dans votre imaginaire. Faites votre travail de flic, mais comme vous l’avez toujours fait.
Vous avez qu’à croire que je suis un medium. D’accord ? »
Il hésite. Il trépigne. Mais je ne lui laisse pas l’occasion de philosopher. Je tourne les talons et m’éloigne le plus possible, en le laissant avec sa conscience, sans même lui souhaiter une bonne soirée (Ou plutôt nuit vu l’heure avancée). Il faut que je fasse attention en partant, je zigzage entre les arbres et évite les policiers en uniforme afin qu’on ne me mette pas une feuille de présence à signer sous les yeux. Je remonte tout en haut, par le passage clandestin que j’ai emprunté, pour retrouver mon véhicule en bordure d’autoroute.
J’ai trouvé mon motel. Il n’y avait personne à la réception mais ayant réservé en ligne et ayant mon abonnement à cette chaîne de motel (Il vaut mieux, j’ai l’habitude de voyager, vous vous doutez de bien pourquoi) j’ai juste eu à traîner ma valise en pleine nuit dans les couloirs jusqu’à ma chambre. Après avoir bien fermé à double-tour derrière-moi, j’ai mis en place mon
décorum habituel : J’ai retiré mon petit crucifix que j’ai embrassé et enroulé autour de la table de nuit sur une Bible de poche, j’ai délacé mes chaussure que j’aie posées bien droites juste devant le lit, et je me suis agenouillé avec mon chapelet pour prier Dieu, la Vierge et tous les Saints. Ensuite, sur un vieux téléphone à 10 dollars qui utilise une carte Sim, j’ai envoyé un SMS à un numéro pour lui prévenir que je débutais ma Traque à Chicago.
Je suis heureux d’avoir été chargé de cette Traque. Elle me donne clairvoyance d’esprit. Il m’est déjà arrivé de douter de ma Mission, de me mettre à regretter des actions, d’oublier pourquoi j’ai été ordonné diacre et que l’on m’a entraîné à servir le clergé catholique et porter des armes pour défendre la Sainte Église. Ici, mon rôle est bien différent. Je sais pourquoi je suis là. Je suis là, parce qu’une créature née de Satan, née de la haine, et des ténèbres que Dieu a séparé de la lumière, s’attaque à des enfants du Seigneur. Ils ne sont pas tous très pieux ces enfants du Seigneur, beaucoup ne sont même pas bons ; Mais ils restent un troupeau qu’il faut désespérément garder des loups, quand bien même ces crétins se jettent dans leur gueule et fuient les bergers.
Un corps a été trouvé il y a deux semaines. Une jeune femme, égorgée, nue, balancée aux flots du Lac Michigan. Une étudiante dans une fac, temps partiel dans un Starbucks, décrite comme tout le monde comme souriante et pleine de vie – mais quelle fille de 21 ans n’est pas pleine de vie, hein ? La sauvagerie de l’assassinat a marqué les journaux dans la case « faits divers » même si en première page on avait le Président qui se fait des soucis pour les
midterms. Minute de silence dans sa fac, enfin à condition d’aller en cours. Et au final, bien peu de gens connaissant ou relevant le tout petit détail idiot à souhait mais qui explique pourquoi le lieutenant de police Westmoreland, un fieffé athée, cynique comme pas deux, revendiquant n’avoir ni Dieu ni maîtres, a décidé de chercher dans ses papiers pour un vieux post-it gribouillé qui remontait à quelques années, pour composer mon numéro de téléphone : Ce cadavre, il avait deux, minuscules, presque invisibles traces au cou. En fait elles étaient tellement minuscules que le médecin légiste lui-même ne les a pas remarquées, les confondant peut-être avec des grains de beauté ou des petits boutons comme n’importe qui a sur la peau. Si Westmoreland les a remarqués, c’est parce qu’il les a cherchées, probablement à moitié délirant, ne croyant pas lui-même à sa découverte.
Deux cadavres maintenant. Deux cadavres qui n’ont rien à voir entre eux, sinon une double-trace quasi-invisible que personne ne remarque. Mais qui peut dire combien d’autres victimes la Bête a-t-elle fait trépasser ? Au moins j’ai ici un but clair auquel me rapprocher. Cette jeune étudiante ne méritait pas d’être tuée.
J’en ai eu la conviction le lendemain, quand je me suis rendu au domicile de la jeune femme. Un tout petit studio qui était dans le centre-ville de Chicago. Lorsque je suis arrivé devant (Après avoir inventé un quelconque mensonge au gardien de l’immeuble), j’ai grimpé les escaliers jusqu’à la porte où un gros scellé de police empêchait quiconque de rentrer. Le couteau au cran d’arrêt sur le scellé puis un déverrouillage forcé de la porte me suffirent à rentrer et à risquer une peine de prison sitôt le pas de la porte franchi. À l’intérieur, les policiers étaient déjà passés, mais je souhaitais faire un second tour. Ils avaient tout naturellement saisi le matériel informatique de la jeune fille, mais cela ne voulait pas dire que je ne pouvais pas trouver quelque chose dans les affaires. J’ai réussi à trouver son agenda avec ses cours, que j’ai noté sur un petit calepin. J’ai noté qu’elle dormait avec un nounours. Qu’elle ne savait pas ranger son minuscule appart’ de 17m². Qu’elle s’habillait avec des vêtements d’hommes, style
grunge, mais que ça ne l’empêchait pas d’avoir beaucoup de lingerie en dentelle et plusieurs bas. Près de son lit, elle avait une boîte de préservatifs masculins et un rouleau de sopalin. J’ai beaucoup cherché au cas où elle avait un journal intime, et j’ai demandé à Westmoreland par SMS si elle en avait un, il me l’a infirmé. Je lui ai demandé si je pouvais avoir accès aux données retrouvées par informatique, il m’a répondu qu’il m’enverrait ça à un moment par mail. J’ai néanmoins pu continuer mon enquête en trouvant l’adresse de ses parents et celle de l’endroit où elle travaillait. Je préférais remonter la piste moi-même, sans tout demander au lieutenant de police ; Les flics font un boulot de flic, avec tous les préjugés typiques de la maréchaussée. Ils ne cherchent pas la même chose que moi je cherche. Moi je cherche les signes typiques de la trace Vampirique.
Qu’est-ce que j’entends par là ? Ce que j’ai eu l’habitude de voir dans ma carrière. L’obsession. C’est le symbole le plus parlant de, disons, 85 % des victimes de vampires (Je ne suis pas sûr du chiffre). Les Vampires tuent rarement par besoin pathologique de tuer, à moins d’être rendus fous à lier, ce qui arrive hein, mais comme je vous l’ai déjà dis, le prêtre qui a fait mon éducation m’a expliqué que les Vampires savaient se protéger en tuant au sein même de leur communauté les éléments les plus dommageables parmi eux, afin que nous ne soyons jamais impliqués. Non, souvent, le Vampire tue sans faire exprès, une victime qu’il connaît depuis un moment. Le Baiser du Vampire est une expérience très… Très particulière. Je peux le savoir, j’ai déjà été mordu. Le Baiser répété, en ignorant qu’on a été embrassé en plus (L’expérience vous rend euphorique et vous endort souvent, et vous n’allez pas remarquer deux minuscules petites traces rouges dans votre cou qui sont plus petites que des grains de beauté), a tendance à changer votre psychée, mais aussi celle de la Bête. Vous allez devenir nécessiteux, co-dépendant psychologiquement. Si vous êtes en couple avec quelqu’un et que vous n’arrêtez pas de lui envoyer des messages d’amour toutes les cinq minutes, que vous vous branlez en pensant à lui ou elle, et que vous êtes prêt à lui donner tout votre argent, demandez-vous si vous n’êtes pas sous emprise vampirique, surtout si vous êtes souvent fatigué et qu’une prise de sang dit que vous êtes anémié. Mais parfois, le Baiser est trop pressant, trop emporté, on en prend plus qu’il est nécessaire ; C’est schématique, mais en gros, vous perdez un demi-litre de sang, vous le sentez, vous tournez de l’œil. Vous perdez la moitié de tout votre sang (Deux litres et demi), vous êtes morts. Franchement je suis pas un Vampire, je sais pas ce que ça fait de boire du sang, mais moi un demi-litre de lait ou de bière je peux les descendre tranquille. Et paf, un cadavre sur les bras.
Alors ce qui m’a intéressé, c’est pas que la jeune fille ait beaucoup de lingerie. Ce qui m’a intéressé, c’est les tickets de caisse. Je suis allé les chercher au fond de la poubelle, au milieu de la bouffe putréfiée, beaucoup de pâtes et de nouilles chimiques. Ce qui m’a intéressé, c’est de voir qu’elle en a acheté beaucoup, et dans une période finalement un peu courte ; Elle a commencé y a deux mois, et elle en a acheté pas mal depuis. Ça coûte cher la lingerie, vous le savez si vous êtes dans une relation avec quelqu’un. Est-ce que une fille qui dépense 175 dollars en trois semaines pour des porte-jarretelles et des soutifs c’est le signe d’une emprise vampirique ? Si on utilisait des preuves on dirait que c’est circonstanciel, pas tangible. Mais pour moi c’est un indice qui m’a mit sur la piste, plus que les policiers de Chicago qui sont en train de rechercher d’autres trucs à la con (
Votre fille se drogue-t-elle madame?)
Je suis allé rendre visite à son père, seule famille proche qui restait à la jeune femme (Sa mère vit en Floride). Il vivait dans une petite maison pourrie en banlieue de Chicago. Le même genre de lotissement de pauvre dans lequel j’ai grandis. Grand jardin, chat qui se lèche, beaucoup de fleurs déposées à l’entrée, probablement offertes par le voisinage. Volets fermés. Je me suis permis d’ouvrir la boîte aux lettres en passant devant. Puis je suis allé pour sonner. Y a pas eu de réponse. J’ai été obligé d’insister, longuement. C’est après avoir toqué très fort et avoir dit un : « Monsieur, je sais que vous êtes là » que finalement la porte s’est ouverte et m’a mit nez-à-nez avec un pauvre type mal rasé qui m’a hurlé de dégager de chez lui et qu’il avait un flingue. J’ai été obligé de lui dire pardon, de lui expliquer que j’étais diacre catholique, ce qui n’a fait qu’encore plus l’énerver et lui faire répéter son ordre de dégager de chez lui. Il m’a fermé au nez. Je comprenais sa peine, bien sûr, mais lui devait comprendre également que aussi tragique que soit la mort de sa fille, elle m’obligeait à empêcher qu’elle arrive à d’autres personnes. J’ai hésité un moment.
Puis je me suis dis que si le chat était dehors c’est qu’il y avait une raison. Alors j’ai contourné le jardin. J’ai vu que la fenêtre de la salle de bain était entrouverte pour permettre au matou d’aller-et-venir, je l’aie poussée et je suis entré à l’intérieur. Je suis allé jusqu’au salon pour me présenter au père de la victime qui a écarquillé les yeux, est resté bouche bée quelques instants, avant de me pointer son flingue sous le nez. Une sacrée histoire, j’ai dû lui convaincre de pas me tirer dans la bouche. Et à la place, j’ai parlé. Je sais très bien faire ça, parler, la preuve vous m’écoutez depuis un petit moment et je suis pas sûr que vous baillez, si ?
Je lui ai posé des questions sur sa fille. Sur ses études. Sur ses relations. Le mec avait le regard vide, vide et noir. Je l’avais trop souvent vu. Il était pas triste. Il a pas versé une seule larme. Mais ça se voyait au fond de lui qu’il était plus le même homme. Je lui ai parlé avec une voix douce, je lui ai fais répété ce qu’il avait dit à la police, mais mes questions étaient peut-être plus intimes que ce qu’un flic avait pu dire. Il a tenté de me demander, à plusieurs reprises, d’où je connaissais sa fille et pourquoi je me mêlais de ça, questions légitimes bien sûr ; Je me contentais de lui répondre des semi-mensonges (« Je ne fais pas confiance à la police pour retrouver le meurtrier », par exemple) et de le recentrer sur le sujet. Il ne m’a pas appris grand-chose, et il n’avait pas tellement envie de me parler.
Jusqu’à ce que je me lève et que je me dirige vers la porte d’entrée pour sortir. Il m’a arrêté, et m’a confié que sa fille sortait beaucoup, beaucoup plus qu’il n’aimait. Il m’a avoué qu’une fois, il était allé la chercher à un bar lorsqu’elle était trop ivre, qu’il l’avait beaucoup engueulé, et que c’était l’une des dernières fois où ils s’étaient parlés, et qu’il le regrettait beaucoup. Après il a pleuré, donc j’ai été obligé de rester cinq minutes de plus pour le consoler, sincèrement. N’empêche que faut avouer que ça recentrait pas mal mon investigation.
Après Westmoreland m’a rappelé. Il m’a dit qu’il avait réussi à identifier la victime. Qu’il s’appelait Marcus, que c’était un contrôleur de bus un peu raté, et qu’il avait l’adresse des parents. Malheureusement je ne pouvais pas m’y rendre : Tout un tas de flics allaient faire leur défilé là-bas. Mais je glissais à Westmoreland dans la discussion s’il pouvait chercher au domicile des proches et chez Marcus s’il pouvait voir s’il avait l’habitude de sortir, Westmoreland a trouvé la question très bizarre parce que c’est le genre de truc con qui a pas de sens, « et votre fils il sortait souvent en boîte ? » au moment d’une investigation criminelle. Je lui demandais juste d’être attentif avant de quasi lui raccrocher au nez.
Après quoi je suis allé au Starbucks. Là j’ai pas fais genre j’étais un détective formel. J’ai juste lancé la discussion avec une serveuse en portant mon col romain (Le col blanc de prêtre là, comme dirait l’officier O’Malley), ce qui a rendu la suite de la discussion très naturelle et facile à enchaîner, je ne sais trop comment. J’ai réussi à lui faire dire qu’elle avait eu une collègue qui était morte récemment et qu’elle était très triste, et j’ai réussi à lui faire également avouer qu’elle était plus-ou-moins proches et qu’elles étaient déjà allées dans un bar un peu branché du coin ensemble. Je lui ai demandé si sa collègue avait un copain. Elle a trouvé la discussion un peu bizarre, sûrement parce que c’est trop bizarre qu’un prêtre demande si une fille morte fréquentait quelqu’un, mais après en avoir un peu discuté (Et lui avoir dit que c’était « pour savoir si elle avait des proches pour qui je devais prier »), elle m’a avoué que si elle sortait souvent, elle avait au final l’habitude de peu draguer et de rejeter les avances des hommes qui étaient un peu pressants. J’ai obtenu l’adresse du bar. Jeu, set, match.
Ensuite j’ai passé la fin de journée sur mon ordi à regarder ce que Westmoreland m’avait envoyé par mail. Il n’y avait rien de vraiment intéressant. Enfin si, il y avait un tas de trucs intéressants, mais qui à mes yeux n’étaient que des fausses pistes. Les flics de Chicago devaient être en train de suspecter le père, de faire des enquêtes de voisinage pour savoir si elle n’avait pas été victime d’un prédateur sexuel local qui l’avait attaqué par surprise ; Ils sont compétents, les flics de Chicago, mais le problème c’est qu’ils sont incapables de voir ce qu’il y a juste sous leur nez, et je peux pas leur en vouloir. Ils ont pas l’habitude de relever les dépenses en lingerie d’une jeune fille comme si c’était une preuve qu’ils pouvaient amener devant des jurés, vous voyez ce que je veux dire ?
River North à Chicago est typique des quartiers que je déteste. C’est plein de galeries d’art, de bobos et de bars branchés. Si encore on m’avait ramené dans une boîte de nuit semi-glauque comme j’ai l’habitude de le faire, je n’aurais pas perdu mes marques. Pour cette soirée, j’avais retiré mon col romain, même si je gardais, caché sous une jolie chemise bien repassée que j’avais acheté dans une friperie durant l’après-midi, mon fidèle crucifix. Parce que j’ai dépensé 300 dollars pour une licence auprès de l’État de l’Illinois, j’ai légalement le droit de porter sur moi une arme à feu cachée, et j’en profitais pour coller sous mon manteau en cuir un holster contenant un .45 ACP tout simple à ma poitrine. Je me suis fais beau. Je me suis mis un peu de parfum et du gel dans les cheveux : J’allais dans un endroit branché à la con, je pouvais pas me permettre de ressembler au rustre aux chaussures couvertes de boue et de pluie comme j’en ai trop souvent l’habitude. J’ai pas l’habitude d’être coquet mais je suis allé jusqu’à m’épiler entre les sourcils, c’est vous dire à quel point je me dévoue à la tâche pour mon magistère chrétien et pour mon troupeau de moutons suicidaires.
Ma vieille bagnole toute rouillée s’est garée sur un parking un petit peu éloigné du bar. J’ai trotté sous la petite pluie (On a eu droit à quelques jours pénard, mais il recommençait soudainement à pleuvoir à verse) jusqu’au bar, dans lequel je me suis engouffré. Bon sang, je vous jure j’ai eu une bouffée de stress. Une espèce d’electro à la con, plein de jeunes et une ambiance lumineuse à gerber avec des néons partout qui faisait qu’on n’était ni vraiment éclairé ni vraiment dans le noir. À marcher de façon hasardeuse à l’intérieur, je me suis vite rendu compte que je m’étais pas fait beau de la bonne façon. On était dans un endroit vraiment
branché, tellement que je suis sûr que « brancher » c’est un terme qui ferait trop has-been ici. Les hommes avaient des piercings aux oreilles et des chokers au cou (D’habitude c’est les filles qui portent des chokers!), les demoiselles portaient du rouge-à-lèvre qui en fait était de couleur bleue ou noire, puis des tas de fringues extravagants que j’ai pas l’habitude de voir. Je croyais bien passer dans l’environnement avec ma petite chemise ajustée sous mon manteau, en fait je voyais que des regards se tournaient vers moi de temps à autre, je marquais dans le décor mais justement parce que je n’étais pas censé y être. Bordel les souvenir du collège qui reviennent. J’ai eu direct besoin d’un verre, et là a eu lieu le second problème : Les gens ici ils boivent pas tranquille de la bière ou de la vodka pour se mettre une race. Ils prennent des
cocktails ! J’ai failli hurler.
https://www.youtube.com/watch?v=hg14Ocs03xA« Je te sers quoi ? » me demanda un barman tout petit mais musclé et barbu alors que je m’approchais du bar auprès duquel il n’y avait même pas de tabourets hauts pour s’asseoir, les gens se mettaient sur des poufs et des canapés designs à la place.
« Je sais pas… Vous avez quoi qui soit un peu fort ?
– Ah, tu es un costaud, répondit le barman avec un ton ricanant qui me faisait dire qu’il se foutait royalement de ma gueule. Je peux te proposer un
Whisper. C’est fait avec du Vermouth français et du Scotch.
– Si c’est français alors il m’en faut tout de suite. »
Il ricana à nouveau alors qu’il sortait les shakers avec lesquels il ne put s’empêcher de faire des mouvements à la con. Je voyais à l’autre bout du bar qu’une meuf avachie dessus le filmait avec son smartphone, probablement pour poster sa danse sur instagram. Et en même temps qu’il faisait sauter le shaker au-dessus de son épaule et dans tous les sens, il me parlait avec un flegme et une assurance parfaite :
« Tu aimes ce qui est français ?
– Je suis Cajun, alors on peut dire que ouais.
– C’est trop cool ça ! Tu peux me dire un truc en Cajun ?
– Heu, ouais, attends… Hmm…
J’apprécierais que tu arrêtes de me parler ça me nique les oreilles, rase-trottoir.– Ahah ! Trop classe ! C’est quoi que tu viens de dire ?
– C’est une expression française, c’est pas trop traduisible tu vois.
– Ah ! Je comprend je comprend... »
Il me sert mon « Whisper ». Le truc a l’air costaud il faut avouer. Le prix également. Je fous le billet sur le comptoir alors que le type me harcèle me demande d’autres trucs. Il m’assure qu’il adore trop la France et me demande si j’y suis allé. Malheureusement, je fais une grossière erreur : Je lui répond que oui. Et voilà, le simple fait d’avoir manifesté un intérêt tout poli fait qu’il se met à me harceler de questions, en même temps qu’il se dépêche de se tourner pour accueillir et prendre les commandes d’autres clients qui s’agglutinent. Je trouve ça incroyable. Ce nabot est une pipelette horrible. Il sautille d’un coin à l’autre, sourit tout le temps, change de ton selon à qui il s’adresse, fait bouger ses conneries de shaker et ramasse les billets qui traînent, en même temps qu’il trouve le temps de me demander de dire des phrases en cajun, et s’il y a des différences entre le cajun et le français, et si je venais de Louisiane, et ce que je pensais de la France, et ce que, et si, et blablabla…
À cause de ce fieffé connard je me retrouvais facile au milieu d’une conversation avec d’autres gens. Je suis un vieux con qui fait tâche dans le paysage mais en plus de ça maintenant je passe pour un étranger, alors que putain je vis à Cleveland quoi. Cleveland c’est à 5 heures de voiture de Chicago, ils prennent jamais la bagnole ici ? Heureusement que je suis pas venu en culotte courte bavaroise je m’en serais pas sorti. Au cours de la conversation je trouve même pas l’occasion de changer de sujet sur « au fait vous savez que deux de vos clients réguliers sont morts ? ». Le pire c’est que je pense pas qu’on puisse noter de client régulier. Il y a beaucoup trop de monde. C’est le problème des bars branchés. Le Vampire, lui, je suis sûr qu’il doit être connu du coin. C’est obligé. Ils sont comme ça les Vampires. Ça me fait rester à l’affût. Je garde à l’esprit que, si ça se trouve, l’une des personnes en train de me parler, semi-fascinée quand je lui dresse un portrait oral de la ville de Toulouse (Allez à Toulouse je vous jure que c’est magnifique), est en réalité une des Créatures démoniaques qui va en vouloir à mes délicieuses hémoglobines. Dommage que je sois pas un jeune homme musclé ou une jolie dame plantureuse, j’aurais peut-être pu servir d’appât, mais là je fais trop commun. Mais je me concentre. J’essaye de me rappeler de mes enseignements. De relever des paroles, des mots, des signes qui fait que ça peut indiquer, aussi maigre soit-il, la souillure immonde des Ténèbres.
C’est pas facile avec les Whisper. Un type trop instagrammable (Il a un t-shirt moulant avec une coupe en V, une grosse barbe et est super musclé) m’offre un deuxième, ce qui délie beaucoup ma langue et brouille légèrement mon esprit. Ça me fera encore des choses à raconter à mon confesseur ça. Je savais qu’il fallait que je me fonde dans l’environnement mais il faut que je fasse gaffe de ne pas trop me fondre non plus, je n’ai pas envie de finir à danser sur la piste non plus.
Puis j’ai noté que le barman trop bavard était allé dans la périphérie de mon oreille. J’ai pas regardé, j’étais trop occupé à parler de l’Europe (Là je parlais des Alpes, sans toutefois mentionner que si j’étais dans les Alpes c’était pas pour le paysage mais pour mon entraînement militaire à chasser des Vampires) à une demoiselle qui avait l’âge d’être une petite sœur ou une nièce, pas encore une fille, je suis pas si vieux. Mais j’ai entendu distinctement quelque chose. Un nom. Une adresse. J’ai relevé mon verre pour prendre un Whisper et j’ai observé très rapidement du coin dans l’œil ce qui se tramait juste dans mon dos. Collins. Ça me disait un truc sans rien me dire. Probablement la faute au Vermouth dans les cocktails, ça. Une fille parfaitement atypique, qui paraissait terriblement typique par rapport à la fréquentation moyenne du bar : Une robe trop bizarre, un voile sur les yeux qui me faisait demander si elle était aveugle, des bottes trop hautes. Je me laissais sous-entendre qu’elle n’était pas désagréable à regarder, mais ça c’est la faute au Whisky, et je me dépêchais vite de faire taire cette voix. Elle s’éloignait.
Collins. Je savais que j’avais entendu ce nom quelque part.
Je termine mon verre et ricane, et fait semblant de tituber en arrière.
« Ah… J’encaisse mal, c’est l’âge ça. »
Je fais ricaner certains. Je cherche une excuse. J’essaye de noyer le poisson, sans me presser toutefois. Ça ferait suspect que je m’échappe tout de suite pour courir après la dame qui avait dit ce nom. « Collins ». Oui, oui j’avais lu ça, Collins, j’en étais persuadé. Est-ce que c’était sur l’ordi de la demoiselle ? Dans les documents que m’avais envoyé le lieutenant Westmoreland par mail ? Ça demandait réflexion. C’était une piste que je pouvais pas ignorer.
« Je vais fumer une clope deux minutes, ça me détendra. Quelqu’un veut venir ?
– Sous la pluie ? Me demanda un de mes amis de bar.
– Bah ouais, pourquoi pas ?
– Bah nous on vapote, on a pas besoin de sortir. »
La cigarette électronique. Bien un truc de jeune ça. Du coup je leur fais une petite pique méchante sur leur choix de tabagisme avant de m’éloigner avec l’excuse toute trouvée pour faire une sortie discrète. Je pousse la porte de dehors et soudain la musique électronique très forte se trouve en sourdine. J’ai tout de même des acouphènes qui restent dans les oreilles et la tête un peu embuée par l’alcool.
Je regarde autour de moi. Tel un limier, je me met à suivre une trace. Il faut que je commence une filature discrète.