Une série de tintements qui me firent froncer les sourcils en ce début de soirée.
Un réveil, datant de la fin des années 80, venait d’emplir la pièce d’une sonnerie fort désagréable. Emmitouflé dans d’épaisses couvertures, mon corps à peine éveillé resta flasque de longues secondes avant d’enfin se décider à extraire un bras qui alla mollement s’écraser sur de dessus de l’appareil.
Après un cliquetis, le vacarme cessa et mes yeux s’entrouvrirent. Plongée dans le noir complet, mes yeux embrumés devinèrent deux 1 suivis de deux 0 sur l’écran du réveil, et précédé d’un long soupir, j’étirai mon corps de tout son long dans des draps hors de prix. Une fois mon corps réveillé, ce fut le tour de mon esprit de revenir à lui. Nous étions… Dimanche, c’est cela, jour de repos que je passais la plupart du temps à rattraper mes heures de sommeil en retard de la semaine.
Ma prochaine consultation était demain à 10 heures du matin, ce qui me laissait le temps de me balader en ville. La plupart du temps, je me contentais d’une promenade ou d’un simple bouquin, mais ce soir, peut être parce que j’avais passé toute ma semaine entre ces murs, j’avais envie de sortir.
Courageusement, ma seconde main glissa dans les draps de velours pour agripper le montant du lit, et une adroite pirouette me fit m’asseoir sur son coin. Le noir de la pièce était absolu, mais j’avais tant vécu entre ces murs que je pouvais m’y diriger les yeux fermés.
Mon corps simplement vêtu d’une nuisette quitta donc les draps pour se diriger à tâtons vers la salle de bain, qui se résumait à un vieux lavabo et une cabine de douche. Ma tête se retrouva alors devant le petit miroir qui surplombait la vasque, alors que mon index allait chercher un interrupteur près du montant de la porte que je venais de franchir.
Son appui provoqua la diffusion d’une discrète lumière rouge qui était pleinement inoffensive pour ma peau de séthite, et après s’être entièrement dévêtue, je me glissais sous une douche bien trop froide pour un humain. En effet, je n’avais pas de réelle raison d’en prendre. Nous autres ne transpirions pas vraiment, en tous cas, il s’agissait plus de sang bien moins odorant que les nauséabonds miasmes de la race humaine. En ce qui concernait le sang, et bien hormis lors de quelques repas un brin trop gourmands, je tenais toujours à boire proprement.
Toutefois, j’en avais réellement besoin pour pleinement m’éveiller, et j’aimais bien la sensation glacée de l’eau glisser sur ma peau.
Une fois quelques minutes passées, je sortis de ces étroit murs, enroulée dans une serviette. La lumière écarlate fuyait jusque dans la pièce attenante qui me servais de chambre, ce qui me permis de choisir mon accoutrement du soir. En réalité, il s’agissait en très grande majorité de robes noires, allant de simples mates à des bien plus sophistiquées arborant des plumes de corbeaux ou autres fantaisies.
Mon regard se posa sur plusieurs d’entre elles, avant d’en choisir une qui laissait mes épaules légèrement découvertes. D’ordinaire, j’hésitais fortement à la mettre, car elle révélait certaines… disons spécificités à la surface de ma peau que je n’aimais pas dévoiler pour ne pas éveiller les soupçons, mais couplée à une longue écharpe non moins sombre, cela allait convenir pour le bar dans lequel je comptais me rendre.
Cet endroit, que je vous décrirais plus tard, j’aimais m’y rendre lorsque l’envie me prenais de sortir. La musique n’y était pas trop forte, et la lumière tamisée me permettais de boire sans me faire remarquer. J’aimais bien en effet ces sangs légèrement alcoolisés dont les tanins variaient en fonction de la personne et de la substance ingérée. Mes crocs se perdaient parfois dans la nuque d’un adolescent empli de bière, d’autres fois dans une vieille dépressive. Chacun avait leurs gouts, et si par malheur je n’arrivais pas à trouver mon bonheur, je me contentais de discuter avec les gens, et parfois même de trouver de nouveau patients à asseoir sur mon divan.
Sur cette dernière divagation de ma pensée, je finis de me préparer, et passant par le cabinet, je pris le chemin de la ruelle. Déserte de tout humain, comme la plupart du temps, elle n’était parcourue que par un chat qui souffla à mon approche. Étrange instinct qu’avaient ces petites bêtes, si bien qu’il fuit lorsque je vins à sa hauteur.
Encore quelques pas me menèrent au coin de la rue ou je bifurquais à droite. Non loin, l’enseigne du bar clignotais et une poignée de jeunes fumaient sous son éclat. Deux rues traversées et une centaine de pas plus loin, je me retrouvais à leur niveau, les saluant d’un signe de tête, avant de pousser la lourde porte de l’établissement.
Un petit bruit de cloche, une vague de chaleur et un client fort éméché virent à ma rencontre dans cette embrasure. Il marmonna quelque chose avant de tituber quelques pas dehors. Cela me fit plus sourire qu’autre chose. Une fois la porte refermée, je fis quelques pas dans l’établissement, et mon regard alla balayer la pièce. Le bar était relativement désert, en tous cas moins peuplé que de coutume.
En son fond, une grande tablée de jeunes discutait bruyamment, groupe auquel devaient appartenir les jeunes au-devant du bar. Juste à gauche de l’entrée, Simon, un habitué, qui me salua de la main, plongé dans son livre avec son habituel verre de scotch et son bol d’olives. Je lui retournai un sourire, moi qui m’étais perdue quelques soirées à écouter ses histoires sans même envisager quelconque baiser.
Quelques autres personnes étaient présentes, la plupart dans un état semi comateux, attirèrent bien moins mon attention qu’une demoiselle rousse accoudée au comptoir, un vers au contenu brun devant elle. Bien loin de la joie qui pouvait animer le visage de bien des gens de son âge, elle était seule, le visage triste, et ses yeux se perdant parfois dans le vide trahissaient une triste machination de l’esprit
Je choisis donc de m’installer au comptoir, laissant un tabouret d’espace entre nous deux, à gauche de la demoiselle. Deux premières secondes passèrent, puis le barman vint à ma rencontre.
Un whisky Donovan je te prie !
Il acquiesça simplement, puis emplit le verre qu’il avait essuyé en prenant ma commande. Durant ces quelques autres secondes, mon regard se posa furtivement sur ma voisine, puis revint sur le verre qui venait de m’être servi.
Je sortis quelques pièces de mon sac et les déposa sur le comptoir, puis pris une gorgée du rude breuvage, spécialité de la maison. Lentement, je reposai le verre à ma droite et entrouvris ma bouche, fixant droit devant moi.
C’est souvent plaisant d’épier les conversations des gens, n’est-ce pas ?
C’était un brin audacieux de demander cela, certes, mais cela restait non moins une manière quelconque d’engager la conversation. Suite à ces paroles, je repris mon verre, et après une seconde gorgée, fit très légèrement pivoter le siège vers la jolie demoiselle, patientant après sa réponse.